08 novembre 2006

Le Sénégal : "une république bananière néo-patrimoniale"

Le Pr. Abdoulaye Bathily, secrétaire général de la Ld-mpt :
"Sous Wade et sa famille, le Sénégal est devenu une République bananière néo-patrimoniale"

À trois mois des élections présidentielles et législatives prévues pour le 25 février prochain, le Professeur Abdoulaye Bathily, secrétaire général de la Ligue Démocratique/Mouvement pour le Parti du Travail (Ld/Mpt) s’est confié au « Témoin ». Le Professeur Abdoulaye Bathily nous a reçu dans son bureau encombré de livres de toutes origines, en français, en espagnol et en anglais. Il est parfaitement bilingue car il a soutenu son premier doctorat dans une université anglaise. Source : Le témoin

Ce chercheur reconnu en histoire et sciences politiques, auteur de nombreux ouvrages, est un leader politique combatif et opiniâtre. Abdoulaye Bathily a été mordu par le virus de l’engagement et du militantisme depuis le Prytanée militaire Charles Ntchororé de Bango d’où, à la suite d’une grève dont il était le leader, il est renvoyé. Cela ne l’empêche pas, l’année suivante, de passer son bac en candidat libre et de l’obtenir avec mention. Malgré son incorporation de force dans l’armée comme d’autres leaders étudiants, il milite au Pai (Parti africain de l’Indépendance) alors interdit et banni par les autorités de l’époque. Après des études en Angleterre, il fait partie des membres fondateurs de la Ligue démocratique/Mouvement pour le Parti du Travail, une scission du Pai. Après Babacar Sané, Abdoulaye Bathily est le deuxième secrétaire général de la Ld/Mpt. Ce parti de gauche dont beaucoup de dirigeants et de militants sont des enseignants, a été secoué par la nouvelle donne qu’a constitué la disparition du camp socialiste et de l’Urss qui faisaient partie des éléments d’identification et de paradigme du parti. Après avoir été candidat de la Ld/Mpt à l’élection présidentielle de 1993, le Pr. Abdoulaye Bathily et son camarade Mamadou Ndoye ont participé au gouvernement de « majorité présidentielle élargie » socialiste d’Abdou Diouf jusqu’à la veille des élections de 2000. La Ld/Mpt avec ses alliés du Pôle de gauche s’est par la suite alignée derrière Abdoulaye Wade dans la Ca 2000 à l’élection présidentielle de 2000. Le Pr. A. Bathily participe au premier gouvernement de l’Alternance historique du 19 mars 2000, comme ministre de l’Energie, alors que son camarade Yéro Deh prenait le portefeuille de la Fonction publique. Le Pr. Bathily poursuit son flirt prolongé avec le chef de l’Etat en acceptant de fondre des candidats de la Ligue démocratique dans la liste Sopi aux élections législatives de 2002. La Ld/Mpt gagnera 7 sièges de députés. Le remaniement consécutif aux élections n’a pas l’heur de plaire au Professeur. Il claque la porte du gouvernement à titre personnel et rejoint le bureau de l’Assemblée nationale. Tout en continuant à participer au gouvernement, la Ld/Mpt ne rate aucune occasion d’exprimer sa différence, ses critiques devant les dérives des libéraux. Au risque d’une crise interne, la Ld/Mpt largue les amarres et est devenu l’un des adversaires les plus déterminés du pouvoir. Ce parti est aujourd’hui solidement ancré dans la Cpa (Coalition populaire pour l’Alternative) avec ses alliés du Ps, du Pit et de l’Afp et se donne pour tâche de débarrasser le pays d’Abdoulaye Wade. Pour le Pr. A. Bathily, cette lutte a une dimension morale, c’est pourquoi il a demandé publiquement au peuple sénégalais de lui pardonner d’avoir contribué à l’accession de Wade au pouvoir. Que pense le Pr. Bathily de la candidature et des déclarations de l’ex-Premier ministre Idrissa Seck ? Que pense-t-il de la crise de l’énergie après avoir contribué à renationaliser la Senelec ? Pourquoi changer de constitution après avoir voté oui en 2002 ? Candidature unique de la Cpa pour la présidentielle ou candidatures plurielles ? Autant de sujets et de questions abordés par le Pr. Bathily avec Ibrahima Mané. Interview. • Par Ibrahima MANE

Le Témoin : Pr. A. Bathily, à trois mois des élections présidentielles et législatives, comment voyez-vous le processus électoral ?

Pr. A. Bathily : C’est le brouillard le plus total. Et si rien n’est clair jusqu’ici, c’est dû essentiellement à Abdoulaye Wade, il faut avoir le courage de le dire. Voilà un homme, Me Wade, qui aussitôt arrivé au pouvoir par des élections démocratiques et transparentes saluées par le monde entier, s’est employé à tout brouiller dans le pays. Me Wade, c’est véritablement gribouille et en même temps, il s’est révélé être un dangereux apprenti-sorcier bricoleur. Wade, c’est également un désastre moral. Par exemple, il y a eu cette soi-disante « transhumance » qui a ébranlé gravement la fibre morale du pays. Ce phénomène, on ne l’avait jamais connu auparavant dans l’histoire politique du Sénégal, de l’Afrique, voire du monde. Il y a également ce report des élections, le fallacieux prétexte des inondations de 2005, comme si gouverner n’était pas prévoir ! Jusqu’à l’heure où nous parlons, il n’existe aucun fichier électoral fiable. En fait, la réalité crue, c’est que Me Wade, se sachant battu d’avance, ne veut aller à aucune élection législative comme présidentielle. Il entretient aujourd’hui la confusion comme on ne l’a jamais vu dans l’histoire politique du pays. Depuis 1960, année de notre indépendance politique, les élections ont toujours été organisées à date échue, sauf en 1993, avec le consensus issu des négociations sur le code électoral sous le magistère du juge Kéba Mbaye en 1992. L’opposition dégage toute responsabilité sur cette situation. Nous, à la Ld/Mpt, comme chez nos alliés de la Cpa, nous exigeons que les élections soient organisées à date échue, le 25 février 2007. Nous n’accepterons aucun report. Le gouvernement doit mettre tous les moyens matériels et financiers qui existent pour que le pays aille à des consultations apaisées, claires et régulières. C’est la condition pour que le Sénégal puisse évoluer dans l’avenir de manière stable. À la Cpa, si on peut résumer les thèses sur la question des candidatures aux élections présidentielles, deux thèses s’affrontent : celle du leader du Pit, Amath Dansokho, qui plaide pour un candidat unique de la Cpa pour l’élection présidentielle, et celle de Moustapha Fall « Che » qui souhaite que les leaders des trois partis poids-lourds de la Cpa, Moustapha Niasse de l’Afp, Ousmane Tanor Dieng du Ps et vous-même de la Ld/Mpt, vous puissiez vous présenter, avant de vous rallier sur une liste unique pour les législatives... Quelle est votre position sur ce débat ? Il faut dire que nous, à la Ld, nous avons ouvert dès 2005 un large débat en notre sein. Ce débat a duré plusieurs mois, à travers tout le pays, dans l’ensemble de nos structures autour du thème : « Quelles perspectives pour la Ld/Mpt aux élections de 2006/2007 ? ». Le débat a duré des mois. Nous avons ensuite fait la synthèse des positions exprimées par les militants, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. La position qui a été retenue est la suivante : travailler à la constitution d’une liste unique et commune aux législatives avec les partis du Cpc à l’époque, du G10 et de la Ld/Mpt. Pour l’élection présidentielle, la majorité des militants souhaitaient une candidature du SG du parti. Depuis lors, nous avons cheminé avec les partis du Cpc, du G10 et nous avons créé la Cpa, et il y a unanimité sur la présentation d’une liste commune, autour d’un programme commun que le gouvernement issu de cette majorité aura à appliquer, car pour nous, il est fondamental d’aller vers un changement institutionnel. Ce changement doit mettre le Parlement, l’Assemblée nationale au cœur de la vie du pays. L’Assemblée nationale doit se transformer et devenir le principal centre d’impulsion de la vie politique, jouant de manière responsable son rôle de législateur, mais aussi jouer un rôle dans la désignation des membres du gouvernement et dans le contrôle de son action. Vous aurez donc un régime parlementaire ? C’est ce que nous voulons, comme tous nos alliés de la Cpa. A partir de ce moment, la question de l’élection présidentielle ne doit plus être l’élément fondamental de la vie politique nationale. Mais, tout de même, la Ld/Mpt comme ses alliés du Ps et l’Afp avaient demandé aux Sénégalais de voter oui à cette constitution wadienne que vous récusez aujourd’hui... En effet, nous avions appelé à voter oui, mais rappelez-vous, c’était le début de l’Alternance. Ensuite, nous nous étions opposés à A. Wade lorsqu’il a voulu toucher à des principes qui, pour nous, sont sacro-saints comme la laïcité. Nous faisons humblement notre mea culpa. De la même manière que j’avais demandé pardon au peuple sénégalais de lui avoir amené A. Wade, nous battons notre coulpe pour la constitution. En fait, nous ne voulons plus d’un régime de pouvoir personnel. C’est un régime dangereux. Vous savez, à la faveur de la crise que nous vivons depuis quelques années, nous assistons à la montée en force des particularismes de toutes sortes. Les identités s’affirment sur tous les plans : religieux, syndical avec le développement des corporatismes, sur les fronts régional et local. On a vu, sous l’Alternance, des gens manifester pour la désignation d’originaires de leurs terroirs comme ministres de la République. Tout cela, évidemment, menace l’unité nationale et lorsque vous remettez tous les pouvoirs à un homme influençable par les particularismes et les identités, vous courez le risque que cet homme, élu comme président, exprime dans ses actes et décisions ces influences-là. Abdoulaye Wade est le prototype jusqu’à la caricature du président partisan, particulariste. De plus en plus de Sénégalais ne le voient plus comme un chef d’Etat mettant au premier chef, dans ses actes, décisions, les principes républicains de neutralité, d’impartialité que sa fonction lui impose, mais plutôt comme un chef d’Etat partisan. C’est pourquoi, nous accordons l’importance qu’elle mérite à la question du régime parlementaire qui met en évidence une équipe et non une seule personne. J’ajoute que l’Assemblée nationale est la seule institution à même de refléter la Nation dans sa diversité. Vous comprendrez que pour nous, le débat sur l’élection présidentielle n’ait pas l’importance qu’on lui accorde, dès lors que le Président n’aura plus les pouvoirs dont il dispose. Le Président, après notre victoire, sera plus une personne morale qui aura pour serment de veiller au respect de la constitution, à la préservation de l’intégrité du territoire national. Le Président de demain n’aura plus pouvoir sur tout comme c’est le cas aujourd’hui où il peut nommer et révoquer le Premier ministre, et les ministres comme il veut. Avec l’actuelle constitution, il concentre entre ses mains les pouvoirs du Premier ministre, du gouvernement, du pouvoir judiciaire, etc... Résultat, le pays est dans une situation très grave aux plans économique, social, politique et aucune institution n’a la force de contrer les dérives présidentielles qui ont fini de ruiner le Sénégal.

Le témoin : Vous qui êtes de culture marxiste, quelle lecture faites-vous de la base sociale de l’actuel pouvoir libéralo-Pds ?

Pr Abdoulaye Bathily : Le Pds est issu de forces sociales jusqu’alors marginales dans le pays. À la faveur de la constitution de ces deux dernières décennies, ce parti, en usant de plusieurs méthodes, a pu se trouver au centre de l’opposition d’alors. Une fois au pouvoir, on voit à travers les décisions et comportements de plusieurs responsables, l’accaparement de tous les moyens de l’Etat à leurs seuls profits. C’est le règne de l’incompétence et là, nous avons plusieurs exemples pour illustrer ce fait. Ils n’ont appliqué aucune politique, dans quelque secteur de l’économie que ce soit qui soit guidée par l’intérêt national. C’est le bricolage permanent des « Njogaan » à la petite semaine : opération maïs, opération manioc, opération bissap. Les paysans sont esseulés avec la ruine de l’agriculture. Dans ce secteur sinistré, l’Etat donne de l’argent à de véritables trafiquants qui, au lieu de payer l’arachide au prix officiel affiché, s’emploient à rouler les paysans par des bons impayés, ou en payant à des prix dérisoires dans les loumas. L’industrie ? N’en parlons pas. On a suffisamment expliqué ce qui est arrivé au fleuron de notre industrie, les Ics. Les audits conduits, dans ce dernier cas, ont montré nettement la manière dont cette société a été cannibalisée et mise en coupe réglée par les tenants du pouvoir. La crise aux Ics a non seulement mis dans la rue plus de 2 500 travailleurs de cette entreprise, mais il y a eu des dégâts collatéraux avec les difficultés des Pme clientes qui vivaient à partir des activités des Ics. Aujourd’hui, c’est tout le département de Tivaouane et même celui de Thiès qui se trouvent sinistrés par cette crise très grave des Ics. Le bradage de la Sonacos, les conditions de cession de la Sodefitex constituent d’autres forfaitures du régime libéral. La crise de la Senelec est aussi symptomatique du mode de gestion libéral de A. Wade. Oui, il faut constater que la Senelec est placée sous le contrôle direct du président de la République. Ni son Premier ministre, ni le ministre de l’Energie, ni le directeur général de cette entreprise, n’ont autorité sur la Senelec qui n’a jamais autant bénéficié des subventions du Trésor public. En moins de deux ans, c’est des dizaines de milliards de francs Cfa qui ont été débloqués par le Trésor pour soutenir cette société dont la gestion hasardeuse a conduit à l’actuelle situation catastrophique. Sans doute y avait-il quelques délestages sous les socialistes, mais jamais de façon permanente ou pendant des mois, comme c’est le cas aujourd’hui. On connaît toutes les répercussions de cette crise sur l’économie, l’activité industrielle et la vie des citoyens au quotidien.

Le Témoin : Tout de même, c’est sous votre autorité de ministre de l’Energie que le gouvernement avait renationalisé la Senelec reprise des sociétés canadienne Hydro-Québec et française Elyo. Acceptez-vous de faire votre auto-critique ?

Pr Abdoulaye Bathily : Auto-critique ? Quelle auto-critique ? Je n’en ferai aucune ! Pas du tout. Je me rappelle que quand nous sommes arrivés aux affaires, j’étais effectivement ministre de l’Energie. Nous avons fait le point de la situation après de sérieuses discussions avec les repreneurs Hydro-Québec et Elyo. En 1998-99, sous la pression des bailleurs de fonds, le gouvernement d’alors avait décidé de privatiser la Senelec. Cela avait été fait dans la précipitation. Ce schéma portait en germe son échec. Le schéma était le suivant : l’Etat du Sénégal gardait 66 % du capital, contre 34 % aux privés étrangers. Au lieu d’un seul privé, ces 34 % ont été cédés à parts égales, c’est-à-dire 17 % à chacune des deux sociétés adjudicataires. Or, ces deux sociétés étaient des concurrentes sur le plan international. Très vite, leurs rivalités feront jour à la Senelec, chacune voulant s’affirmer au détriment de l’autre. Que ce soit dans l’emploi des experts, l’octroi des marchés, à travers leurs propres groupements d’achats. Quand j’ai fait faire le diagnostic, j’ai trouvé que c’était intenable. Le personnel sénégalais, les cadres notamment, avait été écarté au profit de consultants extérieurs grassement payés, au détriment de la main d’œuvre nationale, hautement qualifiée, alors que nos cadres avaient de meilleurs diplômes. De plus, les Pme sénégalaises, qui jusqu’alors étaient des clients de la Senelec, avaient été écartées. Ce schéma de privatisation, loin d’enrichir le pays, était au contraire une sorte de pompe pour aspirer les richesses du pays au profit de ces deux multinationales. Cela était possible, parce que tout en contrôlant 66 % du capital, l’Etat avait confié la gestion à ces entreprises, en réalité concurrentes. Le directeur général, son adjoint, et les responsables de toutes les régies financières, soit l’ensemble des postes et directions névralgiques était tenu par des expatriés. Face à ces graves anomalies, contraires à l’intérêt national, j’ai demandé, en tant que ministre de l’Energie, la remise à plat pour que cette privatisation soit aussi bien profitable aux repreneurs, qu’à toute la Nation. Je n’ai malheureusement pas été entendu. J’ai posé également la question de savoir quel était le plan d’investissement prévu pour mettre fin à la situation de précarité en matière d’énergie. Mais, là également, je n’ai pas obtenu des réponses satisfaisantes de la part des responsables de ces deux sociétés qui se renvoyaient la balle. A mon avis, elles cherchaient juste à tirer profit des bénéfices de la société, dans une logique purement capitaliste pour faire à long terme des investissements. Nous avons alors présenté un mémorandum et comme il n’y avait pas de réponses claires, nous avons décidé de nous séparer à l’amiable. A la suite de quoi, j’ai organisé en février 2001 « Les Journées de l’Energie » auxquelles avaient été conviés tous les secteurs de la vie nationale : l’Etat, le secteur privé national et d’autres partenaires potentiels en vue de définir par consensus une nouvelle politique énergétique nationale. Au sortir de ces assises, des propositions intéressantes avaient été faites autour d’un nouveau schéma de privatisation qui associerait l’Etat, les privés nationaux, des partenaires internationaux et l’actionnariat populaire avec la clientèle de la Senelec. Appliqué, ce schéma aurait pu aider à réduire la fracture énergétique, mais malheureusement, après les élections législatives d’avril 2001, j’ai quitté le gouvernement. Depuis lors, on patauge dans l’incompétence, l’affairisme et le pilotage à vue.

Le Témoin : Que pensez-vous des déclarations de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck sur l’origine de sa fortune ?

Abdoulaye Bathily : Je suis vraiment très surpris. C’est le moins qu’on puisse dire. Je suis surpris et étonné, car, à ma connaissance, les fonds politiques sont des fonds publics. Ils proviennent des ressources budgétaires allouées au chef de l’Etat pour des raisons de caractère républicain, notamment la défense nationale, la sécurité... Je suis étonné donc que ces fonds publics puissent servir à autre chose. La question se pose d’une réglementation plus stricte de l’utilisation de ces fonds qui sont de l’argent public. En France, une loi votée par le gouvernement de Lionel Jospin a réajusté l’utilisation de ces fonds. Il faudra faire la même chose chez nous.

Le Témoin : Idrissa Seck, allié ou adversaire ? Pr Abdoulaye Bathily : Je ne sais pas. Pour le moment, ce n’est pas un allié car nos seuls alliés sont dans la Cpa.

Le Témoin : Que pensez-vous de l’Alternance générationnelle ? Pr Abdoulaye Bathily : C’est un faux débat. Moi même, je n’ai pas 60 ans. Je suis perçu comme un ancien, car j’ai commencé à lutter très tôt pour le changement. C’est à travers les luttes que se révèlent de nouveaux dirigeants. Et dans notre parti, nous avons des gens sur qui nous fondons beaucoup d’espoir et certains l’ont prouvé au gouvernement.

Le Témoin : Pourquoi, en 40 ans, la gauche n’a-t-elle pas pu disposer d’un grand leader national au lieu de s’aligner comme en 2000 derrière Wade ? Pr Abdoulaye Bathily : Mais la gauche a eu de grands dirigeants ! Le problème, c’est qu’il y a eu une forte répression à l’époque du parti unique contre la gauche. D’abord, contre le Pai et contre les fractions de la gauche comme le Pra (Parti du Regroupement africain) Sénégal et le Rnd (Rassemblement national démocratique) du Pr. Cheikh Anta Diop qui était de la gauche nationaliste panafricaniste. C’est sous la pression de la gauche que Léopold Sédar Senghor a été obligé d’ouvrir le champ politique en 1974 avec la reconnaissance du Pds. Un parti ambigu dès l’origine, parti de « contribution ».

Le Témoin : Que répondez-vous à A. Wade sur le gouvernement d’union nationale ? Pr Abdoulaye Bathily : Nous ne sommes pas concernés. A. Wade a raté sa chance en 2000 de garder pendant longtemps un gouvernement qui disposait d’un large consensus national. Le gouvernement du Fal. Jamais gouvernement n’a bénéficié d’autant de soutien populaire. Le pays était prêt à payer le prix des transformations qu’appelait la situation. A. Wade a non seulement écarté ses alliés, mais encore il a mis en œuvre des politiques plus nocives, qui expliquent le rejet populaire dont il fait l’objet à présent. A quatre mois des élections, ce qu’il a de mieux à faire, c’est d’organiser un scrutin transparent qui permettrait aux citoyens de faire leur choix dans la paix. Un gouvernement d’union nationale à la fin d’un mandat n’a aucun sens. C’est encore un piège dans lequel nous ne tomberons pas car nous connaissons bien A. Wade. Nous ne sommes pas concernés par cet appel et nous mettons toute notre énergie à le débarquer pour abréger les souffrances de notre peuple.

Le Témoin : Cette année 2006, et ce mois d’octobre, on fête le centenaire de Léopold S. Senghor. Vous qui l’avez longtemps combattu, quel jugement portez-vous sur l’académicien et homme d’Etat devant l’Histoire ?

Pr Abdoulaye Bathily : Notre jugement ne peut être manichéen, en noir ou blanc. Senghor nous a réprimé et il a brisé les carrières de nombre de nos dirigeants et militants. Par exemple, en 1966, au moment du grand Festival mondial des Arts nègres, des militants du Pai étaient en prison ou torturés à l’électricité dans les commissariats du pays. Nous n’allons pas oublier les 11 ans de prison de feus Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye, et du président Mamadou Dia qui, lui, est vivant. Cela, c’est la face peu glorieuse du senghorisme : chef d’un parti unique, répressif. Cela c’est le passif. Mais à son actif, il nous a légué un Etat républicain. Il a construit une administration fondamentalement républicaine. Il a pu assurer et maintenir le caractère laïc, républicain du Sénégal. Il a également équilibré adroitement les identités remarquables du pays, par un traitement équitable des différents segments de la Nation. Ce qui nous a épargné les dérives qu’on a vues ailleurs. Il a pu s’élever au-dessus de ses propres sensibilités religieuses, éthiques et autres. En fait, c’était un véritable homme d’Etat, cultivé, de grande vision et de grande envergure. Son action politique a été positive. Il a su instaurer les principes de dialogue et de négociation comme méthodes cardinales de gouvernement. Chaque fois qu’il a été confronté à des crises majeures, comme en 1968 et 1969 (excepté l’épisode de 1962), il a su utiliser à merveille la carotte et le bâton, le dialogue et la concertation avec ses adversaires, aboutissant à ce qu’il appelait le « compromis dynamique » permettant au Sénégal de ne pas sombrer dans l’anarchie ou la guerre civile. Il était respecté à l’étranger et faisait respecter le Sénégal, tout le contraire de l’aventurier A. Wade. Il était le président de la République et non le chef d’un clan, ou d’un groupe comme A. Wade l’a montré avec son Bureau politique érigé en congrès, comme dans la manière dont son fils Karim Wade joue les premiers rôles dans tous les grands dossiers de l’Etat : l’Anoci, la signature du contrat sur les immondices, les Ics, la Senelec... Ce jeune homme est au cœur de toutes les décisions de l’Etat, ce qui ne s’était jamais vu ni sous A. Diouf, encore moins sous Léopold Sédar Senghor. L’on a vu même Mme Wade participer aux conseils présidentiels. Ce qui renvoie de notre pays l’image d’une république bananière néo-patrimoniale.

Corruption au Sénégal

La corruption est partout au Sénégal, du sommet de l'Etat jusqu'au guichet ordinaire. Presque tout doit être "aidé" afin d'aboutir. Et encore... Premières victimes: ceux qui ont de l'argent. Mais les plus pauvres ne sont pas toujours épargnés. Ca, ce sont les dénigreurs qui le racontent comme ces fouille-merde de Transparency.

Commentaire: Bref citropuissant



Indice 2006 de "Transparency international" :
Le Sénégal classé parmi les pays les plus corrompus du monde

Malgré les déclarations de bonne volonté politique, la corruption est restée à son niveau de 2004. Et il en sera ainsi tant que la justice restera assujettie au pouvoir exécutif, selon le Forum civil.

Le Sénégal continue d'être un pays où la corruption atteint un niveau très élevé. Publié hier (6 novembre 2006) par Tansparency international (Ti), l'Indice de perception de la corruption (Ipc) 2006 lui attribue la 70e place sur les cent soixante-trois pays où douze sondages d'opinion ont été réalisés par neuf instituts indépendants sur les niveaux de corruption dans les secteurs publics. Selon le coordonnateur général adjoint du Forum civil, section sénégalaise de Ti qui animait hier une conférence de presse sur la nouvelle publication de cette organisation non-gouvernemantale (Ong) internationale, le Sénégal a un score de 3,3 en 2006 contre 3,2 et 3,4 respectivement en 2005 et 2004. A l'analyse, Moctar Fall a regretté la stagnation du Sénégal dans la lutte contre la corruption. ‘En trois ans, c'est-à-dire de 2004 à 2006, le Sénégal n'a pas bougé. Durant cette période, son score n'a pas dépassé les trois points. En valeur absolue, il n'y a pas eu d'avancée significative en matière de lutte contre la corruption au Sénégal’, s'est-il inquiété.

A l'origine de ce surplace, le coordonnateur général adjoint du Forum civil n'écarte pas l'hypothèse des scandales financiers qui mettent le Sénégal au-devant de la scène. ‘Les chantiers de Thiès ou de l'Agence nationale pour l'Organisation de la conférence islamique (Anoci) et autres dossiers que l'on parle toujours sans être tirés au clair y sont pour beaucoup. Les scandales financiers ne sont pas clarifiés. On n'en parle beaucoup, mais en fin de compte, on classe les affaires sans suite’, a-t-il avancé. Et Moctar Fall ne voit pas l'avenir en rose tant que la justice reste à son état actuel et tant que la volonté politique déclarée ne se traduit pas en pratique. ‘Rien ne présage une évolution positive tant que la justice ne retrouve pas la plénitude de ses prérogatives, tant qu'elle reste assujettie au pouvoir exécutif. Dans ces conditions, on ne pourra pas lutter contre la corruption. Les déclarations de bonne volonté politique se multiplient, mais si on interroge la pratique, vous verrez qu'il y a du chemin à parcourir en matière de lutte contre la corruption’, a-t-il souligné.

L'Ipc, en tant qu'indice composite, classe les pays sur une échelle de zéro à dix, zéro indiquant un degré de perception de la corruption élevé et dix indiquant un degré de corruption perçu comme faible. Avec son score de trois points, le Sénégal est très proche de zéro, c'est-à-dire que le niveau de corruption dans ce pays est perçu comme très élevé.

L'Ipc de Ti concentre son attention sur la corruption dans le secteur public et définit la corruption comme l'abus d'une charge publique à des fins d'enrichissement personnel. Selon Moctar Fall, les sondages utilisés pour établir l'Ipc posent des questions en rapport avec l'abus d'un pouvoir officiel dans un intérêt personnel ou bien des questions qui sondent la fermeté des politiques de lutte contre la corruption, incluant de ce fait la corruption administrative et la corruption politique. En exemple, il citera la corruption d'agents publics, les pots-de-vin dans le cadre de marchés publics, le détournement des fonds publics.

Ndakhté M. GAYE

http://www.transparency.org/

02 novembre 2006

Pêcher ou partir : les jeunes ont-ils le choix ?


Cet article met le doigt sur l'une des origines du départ massif des pirogues de l'espoir.
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Article de Youssoupha Mbengue, chargé de communication du programme GIRMaC, et Yves Prévost, responsable du projet pour la Banque mondiale, extrait du magazine "Les Échos de la Banque mondiale". Numéro 5 - Juillet 2006

Cogestion de la pêche :
sauver la pêche artisanale et lutter contre l’émigration des jeunes

Senegal

Le secteur de la pêche emploie 600.000 personnes, assure 17% du PIB et 25% des exportations

« Dem rekk » (« Partir à tout prix » dans la langue wolof). Ce slogan, véritable cri de ralliement de jeunes en mal de partance, reflète une tragique réalité : celle de l’émigration clandestine maritime qui défraie la chronique. Il s’agit de ces vagues massives de jeunes qui tentent de s’exiler par voie de mer, au péril de leur vie, en tentant de rallier le supposé eldorado occidental au détour des îles espagnoles des Canaries situées à plus de 1 500 km au Nord des côtes sénégalaises. Du coup, depuis le port de pêche de Guet Ndar (Saint-Louis) jusqu’au port de Hann (Dakar), obnubilés par le rêve d’un gain facile, nombre de jeunes pêcheurs du littoral sont attirés par l’aventure, que ce soit en convoyeurs ou en convoyés.

Mais le hic, c’est que le rêve se transforme souvent en cauchemar. Nombreux sont les cas de mort par pirogues chavirant en plein Atlantique, quand ce n’est par la faim et la soif ou simplement de jeunes emprisonnés. Ainsi, depuis le début de l’affaire dénommée dans le jargon des pêcheurs « Mbeukmi » (littéralement : le coup de tête), 1 500 personnes auraient péri dans le « ventre » de l’Atlantique, plus de 7 000 autres seraient détenues en Espagne.

Cette hystérie collective est symptomatique de la crise profonde affectant la pêche au Sénégal, un secteur qui emploie 600 000 personnes, assure 17% du PIB et 25% des exportations. Toute personne fréquentant les marchés de Dakar sait que les espèces nobles telles le thiof sont devenues rares et hors de prix. La surexploitation est telle que les captures chutent malgré un effort de pêche accru, comme l’illustre la fermeture récente d’Africamer, un des fleurons de l’industrie poissonnière. Cette surexploitation est particulièrement inquiétante, car elle touche principalement les espèces à forte valeur commerciale qui constituent l’essentiel des exportations. Il est inévitable de dresser un parallèle avec les pêcheries du Nord de l’Europe et de l’Est du Canada, où l’effondrement des stocks a résulté en une fermeture de certaines pêcheries et entraîné un accroissement de la pauvreté. Dans le contexte sénégalais, la crise risque de précariser encore plus des populations aux conditions de vie déjà difficiles. Secteur d’accueil pour les populations affectées par les sécheresses, la pêche de capture est, à son tour, en péril.

La responsabilité de cette crise est parfois reportée sur les flottes étrangères qui opèrent dans le cadre ou en marge d’accords de pêche. Il y a là une part de vérité, mais pour l’essentiel, cette rupture d’équilibre est une conséquence inattendue du développement spectaculaire de la pêche artisanale depuis l’indépendance, laquelle capture plus de 85% des prises débarquées au Sénégal. Les pirogues motorisées sénégalaises concurrencent maintenant les chalutiers sur toute la zone économique exclusive du Sénégal ainsi que dans plusieurs des pays voisins. La hardiesse et le courage des pêcheurs artisans sénégalais sont mondialement reconnus.

La crise de la pêche ne peut être résolue que si l’équilibre entre l’effort de pêche et les ressources disponibles est rétabli par des mesures telles que l’immatriculation du parc piroguier et la gestion de l’accès aux différents types de pêcheries selon des plans d’aménagement par zone et par groupe d’espèces. Une des pistes envisagées est la reconnaissance du rôle important du droit traditionnel, majoritairement accepté au Sénégal, lequel permettait aux communautés familiales et villageoises de gérer les ressources naturelles. Cette mesure est également la reconnaissance qu’une solution n’est possible que si les professionnels du secteur en sont partie prenante. Un autre élément clef est l’utilisation d’aires marines protégées (AMP) comme source de réapprovisionnement pour les zones de pêche.

C’est dans une telle ambiance générale d’inquiétude sur l’avenir de la pêche que des initiatives courageuses, dites de cogestion des pêcheries, sont en train de germer dans quatre sites historiques de pêche. Avec l’engagement politique du Gouvernement sénégalais, le soutien financier de ses partenaires au développement (la Banque mondiale et le Fonds pour l’environnement mondial), les pêcheurs des localités de Ouakam, Ngaparou, Foundiougne et Bétenti tentent, avec témérité, de prendre leur destin en main. Organisés en groupements privés intitulés Comités locaux de pêcheurs (CLP), ces communautés ont développé des projets porteurs d’espoir pour une gestion durable de la ressource halieutique, leur principale source de revenus.

Les initiatives proposées sont le fruit de l’ambitieux Programme de gestion intégrée des ressources marines et côtières (GIRMaC en abrégé). Lancé en juin 2005 par le chef du Gouvernement sénégalais, le GIRMaC est initialement prévu pour cinq ans (2005-2010) et bénéficie d’un financement total de 17 millions de dollars EU, dont un crédit de la Banque mondiale (10 millions de dollars EU), un don FEM (5 millions de dollars EU) et la contrepartie étatique. Le Programme est structuré en trois grandes composantes dont la première porte sur la gestion durable des pêcheries et la seconde, à vocation plus écologique, a trait, quant à elle, à la Conservation des habitats et des espèces critiques.

Près d’un an après son lancement officiel, l’appui du GIRMaC commence à être sensible au niveau des deux directions techniques chargées d’exécuter l’essentiel des activités. C’est ainsi que des cadres nationaux des pêches ont été formés en Asie de l’Est aux bonnes pratiques de la cogestion et ont pu, à leur retour, aider les villages pilotes à formuler leurs initiatives. Mieux, le processus d’implication des acteurs à la base semble particulièrement réussi. En effet, l’approche participative est au cœur des principes d’intervention du Programme. L’Administration des pêches accepte officiellement, pour la première fois de son histoire, de partager ses prérogatives régaliennes avec des acteurs à la base à qui on accorde, désormais, la prise effective d’initiatives pour gérer la ressource halieutique. Le concept de cogestion, ce compromis novateur entre l’autogestion communautaire et la centralisation gouvernementale, trouve ainsi un terrain fertile d’expérimentation.
Du côté de la biodiversité, l’objectif à terme n’est ni plus ni moins que d’améliorer sensiblement les performances du cadre de conservation de la biodiversité, notamment au niveau des sites d’ancrage côtier tels que le Parc national du delta du Saloum ou le Parc national des Oiseaux dit de Djoudj à Saint Louis, la troisième réserve ornithologique mondiale. L’heure est aujourd’hui à la mise sur pied de cadres de gouvernance formels pour les différents écosystèmes littoraux et l’élaboration de plans de gestion.

Les concepts d’Aires marines protégées (AMP) et de gestion par écosystème, réservés il y a encore peu de temps à une poignée de spécialistes, se démocratisent, se vulgarisent et se concrétisent. Ainsi, le Président du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, a non seulement pris la décision d’officialiser cinq AMP, mais a également ordonné la création de dix autres AMP avant février prochain.
Au total, le déroulement du GIRMaC apparaît satisfaisant au vu des résultats engrangés. Toutefois, d’importants défis jalonnent encore le parcours sur le chemin, encore long, du développement durable des ressources marines et côtières. La préparation d’une loi-cadre sur la biodiversité et les aires protégées ainsi que la révision du code de la pêche, visant à bien encadrer les mesures requises pour surmonter la crise du secteur de la pêche, suivent méthodiquement leur bonhomme de chemin.

À défaut d’empêcher les jeunes sénégalais de rêver d’un eldorado utopique, le GIRMaC en offrant, par le biais de la cogestion, l’opportunité aux acteurs locaux de prendre leur destin en main, donne assurément des motifs d’espoir dans la perspective d’un développement intégré, endogène et durable des communautés littorales sénégalaises.

Cet article est un extrait du magazine trimestriel, Échos de la Banque mondiale, publié par le Bureau régional de Dakar (Sénégal, Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Niger). Pour consulter le magazine en format PDF, veuillez cliquer ici. Pour en savoir plus sur ce magazine, veuillez contacter worldbank-senegal@worldbank.org.